vendredi 8 mai 2009

Les mots missiles

C'était il y a quelques semaines, ou peut-être des années.
Il a soupiré et avalé quelques mots dans un trémolo. Je lui ai demandé de répéter, ce qu’il a fait, dans un tremblement de voix encore plus confus que le précédent. J’ai fait mine de comprendre, pour éviter que ses paroles ne sombrent définitivement dans un ultime vibrato.
Le silence s’est installé quelques instants et un faisceau de lumière est venu se perdre dans l’angle de la pièce. J’ai pensé que peut-être, il y en aurait bientôt d’autres, que le jour s’immiscerait peu à peu par l’embrasure de la porte, se faufilerait entre les persiennes pour consommer un jour nouveau.
Il a bu une gorgée de bière, s’est raclé la gorge pour rouvrir les hostilités :
— Merde, je sais même pas ce que je fous là.
J’ai baissé les yeux et regardé le rayon de soleil mourir sur le parquet. Je savais que lui et moi, on n’était pas très loin du point de non-retour. Mais je me disais que peut-être, il suffisait que je ne dise rien, que je laisse ses mots se cogner contre les murs, pour que tout s’arrête.
A la seconde gorgée de bière, il a sorti l’artillerie lourde :
— La vie avec toi, c’est qu’un putain de tas d’emmerdes.
Après la troisième, les mots-missiles heurtaient les murs avec une telle férocité que toute la pièce menaçait de s’effondrer.
Les minutes ont passé, et dans un mutisme résigné, j’ai assisté à l’implosion de ce qu’on était. Dans un dernier attentat, une invective kamikaze a dispersé les restes de notre histoire mutilée sur le sol de la salle à manger.
Et puis, plus rien. Entre un cadavre de canette et les ruines du papier peint, mon silence a fini par rencontrer le sien.
J’ai sorti de mon sac un mouchoir en papier pour essuyer quelques éclats de nous et je suis partie en fermant doucement la porte.
Dehors, le jour semblait avoir décidé qu’il ne se lèverait pas.

4 commentaires:

  1. J'adore tout simplement! Quelques résonances de vérité sur l'explosion du couple ! Merci

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  2. Très beau texte et je serai absolument ravie de te connaître "pour de vrai"si tu viens le 24... Bises

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  3. Tout est dit...
    sauf qui sait, que ce p'tit scénario est si réel parfois...
    "dans un dernier attentat, une invective kamikaze a dispersé le reste de notre histoire mutilée sur le sol de la salle à manger".

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  4. " Mon silence a fini par rencontrer le sien " : c'est tout à fait ça, la fin d'une histoire, le silence. J'ai presque frissonné en lisant ça.

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