lundi 27 avril 2009

Pour du beurre

— Mademoiselle, vous ne pouvez pas avoir le beurre et l’argent du beurre.
Il m’a dit ça le sourcil froncé, l’air franchement agacé. J’ai fermé les yeux, pris un peu de recul et lui ai donné de toutes mes forces le plus beau coup de boule rotatif que l’on puisse donner mentalement. Comme ça, pour du beurre…
C’était le troisième appartement qu’il me faisait visiter et l’idée qu’il puisse y en avoir un quatrième avait l’air de profondément le désespérer. En même temps, dans celui-ci il fallait traverser le bac de douche pour accéder aux toilettes. Dans le précédent, la fenêtre du salon m’était restée dans la main au moment où j’avais essayé de l’ouvrir. Et pour ce qui est du premier, je n’avais pas trouvé la cuisine pour la simple et bonne raison qu’elle n’existait même pas.
Il essayait de me convaincre que cet appartement était pile celui qu’il me fallait, que la douche traversante était une spécificité rare qui donnait un cachet fou à la salle de bain, que le charme ça se payait dans l’immobilier. Et comme je restais sceptique, il m’a sorti un laïus interminable sur sa grande et longue expérience professionnelle et tout le bonheur qu’il avait apporté aux gens en leur vendant des appartements dont ils rêvaient sans même le savoir. C’était son arme secrète d’agent immobilier, celle sur laquelle il avait fondé toute sa carrière : il pressentait chez les acheteurs potentiels ce dont ils avaient vraiment besoin et trouvait l’appartement qui leur collait à la peau ; c’était comme une intuition profonde qui lui venait du fond des entrailles et dont il ne doutait jamais. Alors, tel le berger guidant ses ouailles, il ouvrait les yeux des ignares pour leur montrer le droit chemin à suivre.
Et plus je m’obstinais à ne pas vouloir suivre le chemin qu’il avait tracé pour moi, plus il devenait arrogant. Il a fini par m’expliquer avec un petit sourire narquois que j’étais trop exigeante, que j’allais louper la plus belle affaire de ma vie, un jour je me réveillerai seule dans mon petit meublé de location en me rendant compte de mon erreur mais tant pis pour moi, il serait trop tard. Le beurre, l’argent du beurre, tout ça, c’était pas possible… J’aurais pu lui expliquer, me lancer dans une longue diatribe argumentée et assassine, lui fermer son clapet de petit roquet prétentieux. Mais j’ai opté pour le coup de boule imaginaire, geste de colère désespéré et vain. N’empêche, il s’est tu et il m’a bien semblé le voir reculer d’un pas.
Christelle 1 – Roquet 0

5 commentaires:

  1. J'aurais bien sous-titré ton message par "Agent double zéro" en référence à un film que je n'ai pas vu mais dont le titre pourrait bien coller au malôtru qui manque sérieusement d'humilité dont tu parles.
    Pour ma part, le coup du "Ken le Survivant et des 7 points vitaux" fonctionne bien en alternance avec le COBORO (COup de BOule ROtatif)que tu affectionnes...

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  2. Il m'a dit..lalalalalalalalalalalalala...il m'a dit...lalalalalalalalalalalalalalala : j'aime ce monologue & situation coquasse que tu décris : ce mâle s'en est pris donc une:D même si imaginaire mais souvent, ça fonctionne boucoup mieux (clin d'oeil!). Biz

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  3. C'est bizarre, j'ai l'impression de l'avoir rencontré ton bonhomme, c'est peut-être une espèce commune dans l'immobilier? Bises

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  4. Oeil au beurre noir mental.
    Un agent immobilier qui compte pour du beurre.
    Où il est question d'a(r)gent lipide !

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