mercredi 7 avril 2010

Les herbes folles

Il y avait des fissures dans l’asphalte tout le long de la petite butte en haut de laquelle nous habitions lorsque j’étais enfant. Parfois, du creux de la brèche jaillissait une touffe d’herbe. Je me suis souvent demandé si c’était l’herbe qui venait briser le bitume, ou bien si elle profitait juste de l’orifice pour pousser là.

Je penchais pour la première la solution, j’aimais l’idée de cette pression de la masse végétale, que j’imaginais fragile et rebelle tout à la fois, sur le monde minéral, brut, massif, dominant. Ça me semblait être une juste revanche et je n’étais pas loin de penser que la lutte des classes se jouait là, juste sous mes pas. Mais je n’avais pas lu Karl Marx. Pas encore.

J’entendais récemment à la radio les chiffres des dernières enquêtes de l’INSEE. 8 millions de français vivent en dessous du seuil de pauvreté. Paradoxalement, le niveau de vie des plus riches s’est accru. Les inégalités se creusent, et ma consternation avec.

Il y a quelques jours, je me promenais avec ma nièce. Elle s’est émue devant un brin d’herbe qui semblait avoir brisé l’asphalte pour pousser là. Elle m’a regardé, l’air dubitatif. Est-ce que c’était possible ? Je n’ai pas eu le courage de lui avouer que non, de lui dire que les herbes, aussi folles soient-elles, ne peuvent pas fissurer le bitume. Et je me suis demandé si, plus tard, quand elle lirait Karl Marx et la lutte des classes, quelqu’un aurait le cœur de lui dire que ça non plus ce n’était pas possible.

5 commentaires:

  1. Sait-on jamais, chère Christelle...Lisons "Badiou", le Marxisme a été mal interprété et surtout mal mis en pratique, d'autres tentatives parviendront peut-être à ce que l'égalité entre les êtres humains deviennent à la hauteur de l'idéal de nos révolutionnaires de 1789...Gardons une part d'utopie nécessaire à notre survie. Bises de printemps

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  2. Tu pourras dire à ta nièce qu'il existe une herbe que l'on appelle gazon d'Espagne ou Armeria qui pousse sur les failles des rochers et des récifs marins. Obstinément.

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  3. Un jour de retour d'une balade en montagne, mon guide m'a désigné une petite pousse qui passait la tête par un trou dans l'asphalte et m'a soutenu que c'était elle qui avait fissuré ce bord de route. Je l'ai cru. Ca et tout ce qu'il ne m'a pas dit. L'ivresse des cîmes sans doute ;-)

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  4. Très joli ! On ne sème pas les mauvaises graines, mais partout regorgent de minuscules êtres doués d'un pouvoir: celui de rêver ou de penser !

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  5. Tu sais, les racines des arbres cassent le bitume eux. Restons positifs et laissons rêver encore un moment les tout petits...:)

    Tiana

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