dimanche 13 juin 2010

Je m'aigris


Chaque fois que je fais mes courses, je me dis que j’aurais dû faire un doctorat en microbiologie et génie alimentaire. Non pas que Monoprix réveille en moi une réelle vocation scientifique mais l’épreuve du caddie est devenue un tel supplice que j’ai parfois envie de ressusciter de lointaines connaissances physico-chimiques profondément enfouies dans les limbes de ma scolarité juste pour ne plus avoir à scotcher devant les rayons du supermarché.
Je n’ai pas le droit à l’erreur si j’en crois ce qu’en dit le gotha diétético – bien pensant. Il me faut manger sain pour lutter efficacement contre les maladies cardio-vasculaires, l'ostéoporose, l'hypertension, le cholestérol et toute une brochette de cancers dont je vous passe la liste. Alors forcément, quand je fais les courses je ressens une pression très lourde sur mes petites épaules, par ailleurs un peu trop rondouillettes pour ne pas être suspectes.
La brique de lait me cligne de l’œil du haut de son rayon. Je pense calcium, vitamine D, je me sens d’un coup toute revigorée rien qu’à l’idée de l’acheter. Je me ravise, je me souviens avoir entendu quelques bribes du néo-discours nutritionnel en vogue. Le lait de vache est un poison parait-il, et il y a dans ma brique des milliers d’enzymes toxiques tout prêts à me grignoter de l’intérieur. Adieu calcium, je t’aimais bien pourtant !
Je fuis le rayon boucherie, sous peine de réduire mon espérance de vie d’une bonne vingtaine d’années. J’opte pour le poisson et ses sacro-saints omega 3. Je saisis ma barquette de cabillaud, repense au discours de l’ONU et à la menace imminente qui pèse sur nos océans. Je me sens d’un coup écolo-mécréante et repose illico mon poisson.
Je pourrais noyer mon désarroi dans l’alcool, profiter des bienfaits des polyphénols et du verre de vin que la communauté médicale m’autorise à consommer quotidiennement. En vérité, je ne sais pas ce que sont les polyphénols mais je les imagine barboter joyeusement dans ma bouteille de Brouilly et je me réjouis en la posant dans mon caddie. Et puis je me dis qu’un verre, ça ne suffira pas à noyer mon désarroi. Il m’en faudra au moins deux ou trois, mais ce serait m’exposer à un risque cardio-vasculaire inconsidéré. Je renonce à mon Brouilly.
J’esquive le rayon chocolat, sous peine d’engager mon pronostic vital, et me dirige directement vers les fruits et légumes, aliments bénis des dieux de la nutrition. Et comme j’ai pas envie de développer de graves troubles neurologiques en imbibant mon corps de pesticides, je choisis le rayon bio. Mais mes vitamines ? Elles sont où mes vitamines ? Pas dans le bio selon une étude récente...
Alors je fais quoi moi ?
Je ramène mon caddie là où je l’ai trouvé, et en attendant de passer mon doctorat en génie alimentaire, je me nourris d’amour et d’eau fraiche. Surtout d’eau fraiche. Pas étonnant que je m'aigrisse à vue d'œil...

2 commentaires:

  1. Et encore l'eau fraîche... je te dis pas ce qui s'y cache ! Quant à l'amour....

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  2. Heureusement que ce petit billet est seulement destiné ton (grand) talent de conteuse littéraire, si ce n'était pas le cas et s'il reflétait un tant soit peu la réalité, je préviendrais immédiatement le 115 pour non assistance à personne en danger ! Bisous
    PS: j'ai toujours autant de plaisir à te lire "endive" !

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