Ma grand-mère me disait toujours que je n’étais pas bonne à marier. Allégation arbitraire mais pas totalement dépourvue d’arguments. Elle avait développé sa théorie après avoir longuement observé mes défaillances ménagères telles que mon incapacité à ranger quoique ce soit dans un ordre a priori logique, mes crises de paralysie fulgurante à la vue d’un fer à repasser ou encore mon ignorance générale des principes culinaires de base. Mais tout cela aurait sans doute pu être récupérable si j’avais passé avec succès, ne serait-ce qu’une fois, le test de la laitue. Le but du jeu est simple : remuer la salade sans en faire tomber à côté. Si l’on échoue, alors on n’est pas bonne à marier. Si je n’ai jamais vraiment cru que mon avenir se jouait dans un saladier, il faut bien reconnaître que les hasards de la vie semblent avoir donné raison à feu ma grand-mère.
Mais les choses auraient-elles été différentes si j’avais été la reine de la lingette Swiffer ou une virtuose de la centrale vapeur ? Certainement si j’en crois l’ouvrage retrouvé il y a quelques semaines au fin fond de l’armoire de mes grands-parents et intitulé « La parfaite ménagère - organisation, entretien, confort » — Mme E. JUMAU et Mme F. HERBET, éd. Larousse, 1935, 451 p. Je ne résiste pas au plaisir de partager ici quelques morceaux choisis :
La ménagère devra chaque jour, seule ou aidée par une domestique, faire le ménage. Cela consiste dans l’entretien du sol (les parquets seront balayés, cirés, les carrelages lavés), du mobilier (chaque meuble sera soigneusement essuyé), de la cheminée, des fenêtres, des parois murales qui seront dépoussiérées, essuyées, lavées, et dans l’aération et la mise en état des lits.
Bien nourrir sa famille est peut-être la tâche la plus importante de la ménagère, car c’est d’une alimentation saine et rationnelle que dépend la santé des siens.
C’est dans l’administration du budget consacré à l’alimentation que la ménagère devra le plus faire appel aux qualités d’ordre, de prévoyance qui lui sont indispensable.
La ménagère est responsable de la comptabilité d’où dépend l’heureux équilibre de la vie familiale.
Voici à titre indicatif, un emploi du temps qui peut convenir à un grand nombre de ménagères :
Lundi : blanchissage, lessive
Mardi : nettoyage à fond d’une pièce
Mercredi : repassage
Jeudi : nettoyage de la chambre de bonne et raccommodage
Vendredi : nettoyage de l’argenterie et de la salle de bains, des cuivres
Samedi : nettoyage des W.C. et de la cuisine
C’est par une bonne table que la réputation de maîtresse de maison accomplie s’établira surtout.
La ménagère a également besoin de détente morale, elle y a droit.
Le travail régulier et intensif est le meilleur préservatif contre les maladies de l’esprit et du corps, c’est la consolation dans le malheur et le bonheur de la vie.
Alors, hein, de quoi je me plains ?