mercredi 21 octobre 2009

J'avance (suite)

Résumé de l’épisode précédent :
Certains militent pour la défense des bébés phoques, moi j’ai décidé de me battre contre les bailleurs véreux. Comme ils sont nombreux, et parce que j’ai le combat modeste, j’ai commencé par m’en prendre à celle qui fut la propriétaire d’un des moult appartements que j’ai loués au cours de ces dix dernières années et qui a eu la malhonnêteté de ne jamais me rendre ma caution, sans raison aucune. L’audience est prévue pour 15H.

H – 15 minutes : Elle est là, juste à côté de moi dans la salle d’attente. Elle fait des mots croisés, porte des lunettes, des petits escarpins noirs et un chemisier blanc. Elle a les cheveux gris et je lui imagine une passion inconditionnelle pour la broderie ou le macramé. Elle n’a pas de dossier, pas même une feuille de papier. Juste des mots croisés. Elle est venue ici comme on va chez le coiffeur. Je ne sais pas si elle sait qui je suis. Je ne sais même pas si elle imagine que je suis quelqu’un. Elle ne me regarde pas, elle s’en fiche. Moi aussi, j’aimerais bien m’en foutre, mais j’y arrive pas.

Heure H : L’audience commencera en retard nous dit-on. J’aurais dû prendre des mots croisés moi aussi. A défaut, j’écris. Je pourrais peaufiner ma stratégie d’attaque, sauf que j’en ai pas. J’avais l’impression, jusque là, d’avoir la justice de mon côté. Mais maintenant que je suis ici à poireauter, je me demande si la justice n’est pas du côté de ceux qui font des mots croisés. Ça donne un air sérieux, rassurant. Quelqu’un qui porte des petits escarpins et remplit une grille de mots croisés ne peut pas être foncièrement mauvais. Et quelqu’un avec des bottes en cuir qui noircit les pages d’un moleskine ? J’ai l’impression que la bataille se joue entre Sade et Mamie Nova, alors forcément, je ne suis plus très sûre de mon coup. Et pourtant, si toute à l’heure la justice ne me donne pas raison, alors je ne croirai plus en rien. C’est comme les bébés phoques : tout le monde y croit, tout le monde se dit qu’ils sont trop mignons pour mourir. Et si un juge disait un jour :
— Madame, vous avez tué des milliers de bébés phoques, c’est mal. Mais vous avez quoi dans votre sac là ? Des mots croisés et un kit de macramé ? Alors ça va pour cette fois, mais ne recommencez pas !
Est-ce que vous croiriez encore en quelque chose, vous ?
Mais peut-être qu’à l’époque où nous vivons, les mamies Nova font la loi. Tant pis pour les bébés phoques. Et tant pis pour moi.

H + 15 : J’attends toujours. J’ai chaud et je commence à voir des bébés phoques faire des claquettes avec des escarpins noirs et des petites lunettes. C’est mauvais signe. Rester concentrée, inspirer, expirer et chasser ces images de ma tête.
J’ai envie d’une cigarette.

H + 20 : Note pour plus tard : penser définitivement à prendre des mots croisés la prochaine fois.

H+ 30 : Je viens de voir Mamie Nova regarder les réponses. Vous croyez que si je le dis au juge ça pourra jouer en ma faveur ?

H + 40 : Je crois que je vais mourir d’ennui...

H+ 50 : Audience

H + 1h55 : Verdict : Dans l’affaire Christelle et les bébés phoques contre Mamie Nova, Mamie Nova est reconnue coupable. Elle a été féroce, moi aussi. Si j’ai obtenu gain de cause sur le principe, dans les faits elle s’en sort vraiment bien. Pas d’intérêts, pas de reconnaissance de préjudice. Elle paiera ce qu’elle doit, ni plus ni moins. J’aimerais conclure ce billet par une note optimiste mais je crois vraiment que les bébés phoques n’ont pas de beaux jours devant eux.

mardi 20 octobre 2009

J'avance

Non, je ne délaisse pas le web, c’est le web qui me délaisse. Et tandis que je regarde l’écran de ma freebox me cligner de l’oeil d’un air narquois, j’avance.
J’avance parce qu’aujourd’hui, je vais à la barre, plaider une cause, une toute petite cause de rien du tout, mais elle a l’avantage considérable d’être la mienne et rien que pour ça je m’y accroche. Je me demande si je vais devoir lever la main droite et dire je le jure. Comme si ma main droite avait plus de poids que la gauche... La convocation me dit que je dois me présenter « en personne » et là aussi je m’interroge. Comment pourrais-je venir autrement qu’en personne ? Du genre : je suis venue, mais sans mon moi. Juste avec ma main droite, toute prête à se lever et à jurer tout ce qu’on voudra pourvu qu’on me donne raison... Je viendrai en personne donc, avec l’espoir un peu fou de gagner un combat acharné, qui s’est joué à coup de lettres recommandées depuis plus d’une année. J’y crois pas tellement, mais j’avance.

J’avance aussi parce que j’ai reçu un courrier de mon assureur avec une facture à la clé. Ça m’a ému. Pas la facture, mais ce qu’elle disait : que les murs étaient à moi. Alors bien sûr ça se paie des murs. Bien sûr, ça sert à rien d’avoir des murs à soi. Mais je m’en fous, ce sont les miens et personne ne pourra jamais me les enlever !

Et puis j’avance parce que j’ai décidé de reprendre les cours et tant qu’à faire, j’ai visé haut. A quoi ça sert de rêver petit ?

J’avance donc.
Parfois.
Et parfois pas. Il m’arrive même de faire tout ce que je peux pour que tout s’arrête. Net. Stopper le temps. Ne jamais avoir 30 ans. Et je me suis dit que si je partais très loin, ça n’arriverait peut-être pas. New-York, c’est bien. Non ?